Vous êtes nombreux à savoir que je fais des liens entre l’expérience sportive et la vie au travail, la vie en général, pour aider les leaders et leurs équipes à mieux comprendre leurs besoins.
La course à pied est une belle métaphore pour explorer le rapport a l’effort. À chaque fois que je m’inscris à un marathon il se passe quelque chose de significatif en dedans de moi. Un marathon pour moi c’est un moment charnière pour lequel je vivrai une préparation rigoureuse qui me demandera de faire des choix au niveau de l’investissement de mon temps et de mon énergie. Est-ce qu’on a quelque chose de plus précieux que le temps et l’énergie? L’amour, vous me direz? Ne demande-t-il pas du temps et de l’énergie? Cela a donc des impacts sur ma famille et sur mon travail. Je cherche la bonne dose d’effort pour un maximum de plaisir. Je veux absolument éviter les blessures. Je suis habité par des doutes. Je sens le progrès. Je socialise avec plein de monde qui vit la même chose que moi. En somme, je dirais que mon rapport à la course évolue à la même vitesse que mon rapport à la vie.
Je reviens de Boston. Le 126e de l’histoire mais mon premier à moi. Des milliers de personnes plus vite devant moi. Loin d’avoir fait mon meilleur temps au marathon. Je suis fier de mes choix. J’ai placé la course à sa place dans ma vie pour qu’elle soit source de joie, de satisfaction et de plaisir. Je n’ai pas eu l’impression de faire quelque sacrifice que ce soit pour préparer ce marathon. Je suis fier d’avoir remis le résultat visé dans son trou pour qu’il ne prenne pas le contrôle de mon expérience. Je suis fier de moi. Et ça c’est une victoire plus précieuse qu’un chrono. C’est pour cela que je prends le temps d’écrire ce texte.
C’est pendant Boston en 2014, celui du retour après les attentats, que j’ai choisi de viser un marathon sous les 3h pour mes 40 ans qui allaient se pointer en 2018. Comme cela s’est réalisé, j’allais en 2020 faire le Boston qui a été annulé. Puis remis en 2021 à l’automne à un moment où j’avais besoin de moins courir et de plus méditer. Donc c’est au printemps 2022 que j’ai eu la chance de vivre mon premier Boston.
Si en 2018 c’était le point culminant d’une aventure de 4 ans. Mon récit se trouve ici et ici. En 2019, des brèches se sont ouvertes pour moi. Courir pour aimer la course au lieu de courir pour courir plus vite. Je me suis donc garder de l’énergie pour embrasser mes enfants avant de passer la ligne d’arrivée. Lire le récit ici. Puis avec la pandémie j’ai vécu des épisodes où je souffrais de solitude. J’étais en manque de contacts sociaux. La course est donc devenue un véhicule de socialisation pour prendre soin de moi, une activité que je ne voulais pas contraignante, une expérience que j’ai commencé à partager avec les enfants. Je cours le plus souvent possible en compagnie de mon chien qui est une véritable machine de course mais qui demande une certaine gestion (lire ici une partie de mon attention) pendant les entraînements ce qui fait que ces derniers sont nécessairement affectés par sa présence. Amener pitou aux entraînements de groupes est aussi un bonheur qui commence de nouvelles conversations avec les copains. Il me semble qu’on est encore plus une meute de mammifères quand on a un canidé avec nous.
Comme j’y ai pris goût, je me suis assis avec mon coach, Dorys, à l’automne puis au début de l’hiver, pour lui dire que je ne voulais plus forcer à moins que forcer ne soit pas forçant. Dorys est un coach autant philosophique que scientifique et technique. Il m’a rappelé que la petite phrase à lire avant de cliquer sur le programme d’entraînement disait pas mal ça en d’autres mots. Sa petite phrase s’appelle Directives en plus.
Ne plus forcer à moins que forcer ne soit pas forçant ne s’applique pas seulement à la course pour moi. J’ai grandi dans un monde d’athlètes des années 1980 avec: No Pain, No Gain comme devise. Je faisais une épreuve en canoë caractérisée par l’importance de rester fluide dans le mouvement quand tu as l’impression de passer au feu à l’intérieur en raison de l’acide lactique. Bref, tant que tu forces pas, t’as pas commencé. Vous comprendrez que la route vers le marathon est remplie de pièges dans lesquels je peux me faire souffrir inutilement… C’est long de s'affranchir de tels mantras. Mais je suis en train d’y arriver. Je pense que c’est en bonne partie grâce à ma pratique constante de méditation depuis maintenant 6 ans.
Préparer Boston au Québec représente un défi important de discipline et d'adaptation. Cela peut se faire à un très haut niveau si la course est la priorité dans la vie du coureur. Ce n’est toutefois pas mon cas. J’ai donc dit à Dorys pendant la rencontre de janvier que j’allais manquer des entraînements. Le coach a donc ajusté le plan pour y mettre un maximum de flexibilité. En janvier et février, j’ai manqué les longues courses où j’avais les enfants et quand la météo était trop difficile. J’ai remplacé des entraînements de course par du ski de fond. J’ai fait à peu près 50% des entraînements par intervalles. En somme, cela revient à 70% du volume d’entraînement.
C’est au retour de la semaine de relâche en Floride avec les enfants, après 7 000 km de voiture en une dizaine de jours que je me suis dit que c’était le temps d’être assidu au niveau de la préparation. Cela me faisait donc 4 grosses semaines d’entraînement avant de diminuer le volume pour un peak à Boston. Ces 4 semaines ont été fabuleuses, un prélude au séjour en Nouvelle-Angleterre qui m’attendait!
Je suis allé à Boston en voyage organisé. une quarantaine de coureurs ensemble dans un autobus. À deux heures de notre arrivée, le guide nous a joué le film sur le marathon créé en 2014. On regarde le film à propos de l’événement mythique qu’on s’apprête à vivre. Les émotions étaient au rendez-vous. Les liens avec les autres coureurs se sont créés en très peu de temps. Dans le fond, on est habités par des espoirs, des craintes, des bobos et un rapport à la course qui peut être fort différent mais qui nous aide à nous sentir reliés.
Un appel préparatoire avec le Coach et quelques dizaines de coureurs du groupe le dimanche midi au moment où je visitais Cambridge avec deux nouveaux amis coureurs. On annonce un vent de face. Le coach nous montre des statistiques qui disent que le vent de face affecte de plusieurs minutes le temps médian de l’ensemble des coureurs au fil des ans. L’invitation à la prudence en début de course ne pouvait pas être plus claire. J’ai commencé à me dire qu’en fonction de ma préparation, du parcours, du vent de face et de comment j’avais envie de me sentir, un temps sous les 3h10 serait merveilleux. En bonus, à mon âge, ça donne une qualification pour un prochain Boston, si jamais c’est aussi extraordinaire qu’on le dit… Ça se pourrait que j’ai envie de recommencer! Dorys nous avait aussi prévenus de faire attention à l’énergie de la foule qui te fait croire que tu es superman, aux descentes en première moitié et aux montées entre le 26e et le 34e km. La métaphore proposée: si t’as de l’essence pour faire seulement 42.2 km est-ce que tu mets la pédale dans le tapis en descendant pour te prendre un élan? Non. Tu descends au neutre. C’est ce que je comptais faire malgré l’excitation. En bref: des descentes et du plat jusqu’au 26e, des montées jusqu’au 34e, puis des descentes et du plat jusqu’à la fin.
J’ai ressorti mes mantras pour les sections de course. J’ai ajusté le temps visé par section. Puis je me suis dit qu’un split négatif était un bon plan pour me faire vivre une expérience dont j’allais me rappeler pour des raisons agréables. Un split négatif on obtient ça quand la deuxième moitié du marathon est plus rapide que la première. Faut être sage. À Boston, hyper sage.
Les mantras:
0-8km : Concentration
9-16km: Patience
17-24km: Travail
25-34: Stick to it
35-40: Let it come, in doubt begin again
41-42.2: Euphorie/Célébration.
Mon plan était sur la coche. Un bon souper avec Nicolas mon coloc que je ne connaissais pas avec ce voyage. Bonne nuit. À demain pour le grand jour.
Réveil à 5h00 avant ma montre, reposé. J’ai senti que belle journée se levait en moi. Quand tu fais 50 minutes de bus pour te rendre au départ, tu te dis, ouain, c’est long un marathon. Puis, près de 3h d’attente dans le bus avant le départ. C’était super dans notre propre bus chauffé avec mes nouveaux amis tout près. L’organisation est évidemment impeccable. Faut dire qu’ils ont eu 125 opportunités de s’améliorer au fil des ans…
Le plus gros mensonge à propos de ce marathon c’est le suivant: C’est pas vrai qu’il y a des gens pour nous encourager pendant 42.2 km. On marche près de 3km avant d’arriver à la ligne de départ et déjà on se fait encourager! C’est donc pendant plus de 45km qu’on est au centre de l’expérience avec des gens qui encouragent! WOW!
C’est l’hymne national, puis le passage d’avions militaires, puis go! L’émotion s’empare de moi en franchissant la ligne de départ qui agit aussi comme une ligne d’arrivée pour moi. Ça y est. Je suis en train de courir Boston. La fierté. Je regarde tout le monde autour. Je sens la gratitude s’emparer de moi. C’est délicieux. Puis c’est comme si ma tête passait par mon coeur pour dire à mon corps: On fait “un” aujourd’hui.
Déjà ça commence à descendre. Le mantra concentration agit comme un garde-fou. Il y a une densité incroyable de coureurs devant moi mais j’ai quand même l'espace dont j’ai de besoin. Je n’avais pas pratiqué vraiment les descentes puisque j’habite à Verdun et que je ne voulais pas que l’entraînement me prenne plus de temps avec des déplacements. Ce qui m’a paru être plus difficile en comparaison des mes longues courses c’était l’alimentation et l’hydratation. Descendre ça brasse le système digestif davantage que le plat. Mon défi c’était après du gatorade de ramener assez d’eau pour éviter les crampes sans devoir aller au petit coin. Heureusement j’y suis parvenu. Peut-être même que ce défi a été aidant puisqu’il s’agissait d’une invitation supplémentaire à la prudence.
Vous vous imaginez certainement qu’à 500 000 spectateurs il y a des moments plus divertissants que d’autres. Je note évidemment l’intensité du moment devant les filles de Wellesley College. On l’avait vu dans le film. Elles hurlent leur support. T’as l’impression de ne plus toucher le sol tellement c’est fort. Il y a aussi les pancartes Kiss Me. Je note au niveau du divertissement: My 2 siblings are running, I must be the smart one, et Kiss me if you are chafing. La première m'interroge sur mon choix de courir… Finalement je me dis que courir c’est intelligent. Et la deuxième me fait rire… Pour les non initiés à la course d’endurance, certains athlètes ont les mamelons irrités s'ils ne sont pas protégés en raison du frottement du chandail.
J’ai vécu une petite baisse d’énergie quand on a retrouvé un niveau normal de décibel après ce passage. Il y avait aussi la face de Will Smith sur une pancarte qu’on pouvait gifler au passage. Ils avaient pensé à tout parce que c’est sa musique qui jouait en plus. À plusieurs endroits, il y avait des cibles avec des messages du genre frappe ici pour avoir de l’énergie. Je ne suis pas tombé dans le panneau de la pancarte; mieux d’y aller d’une bonne gestion de course!
Je me sentais très bien au passage du demi-marathon en 1h34m29s. Un peu en avance sur le temps visé. J’étais toujours en attente active des côtes à monter… Ces dernières sont arrivées en même temps que le vent de face annoncé. Mon mantra stick to it a embarqué naturellement. Je déguste la première montée avec appétit et sagesse. Je commençais à dépasser beaucoup de monde. M’est venu l’idée de regarder autour pour me trouver un pare-brise. J’ai fait quelques tentatives mais à ce stade-là, il restait peu de gens de ma vitesse. J’ai deux épisodes de personnes que j’ai eu de la difficulté à suivre, que j’ai laissées aller pour les rattraper et éventuellement les dépasser.
Voici la montée par km dans cette section selon ma montre:
26e km 9 m
27e km 16 m
29e km 19 m
32e km 17 m
34e km 29 m
Mon ami Fred m’avait bien averti pour Heartbreak Hill… Attention, les virages cachent la prochaine butte. Dis-toi que c’est pas fini tant que t’as pas commencé ton 35e km. Dans le plan c’était “Go Time” après avec le mantra Let it come, in doubt begin again. Ce que ça veut dire pour moi c’est que je laisse les choses venir à moi. Je ne m’acharne pas. Je ne force pas à moins que cela soit facile ou soutenable. Et si le doute s’installe sur ma capacité de tenir le rythme, c’est ok. Je peux “recommencer” plus doucement. Je pense que j’ai seulement douté 2-3 fois. Sur une telle distance ça relève de l’exploit pour moi.
Mon plus rapide km aura été le 39e en raison de la descente et du fait que j’ouvrais les valves pour finir fort. Rendu là, je devais bien dépasser une cinquantaine de coureurs par km. Ça aide à la motivation et au sentiment de vitesse évidemment.
On est sur une route de service qui longe le boulevard qui entre dans Boston. C’est long longtemps. Mes nouveaux amis de voyage m'avaient bien averti. La pancarte de Citgo, tu la vois longtemps mais quand tu y arrives, il reste seulement 1 mile à ton marathon. Il y avait bien un vent de face mais la foule, le soleil, le moment était juste parfait. J’accélère de plus en plus.
Mon ami Sean m’a donné un chandail du marathon il y a plusieurs années. Ça dit Right on Hereford, Left on Boylston. Ce sont les deux derniers virages avant la ligne d’arrivée. Tout ça se passe dans le dernier km. J’ai porté le chandail plusieurs fois sans penser que j’allais ressentir son message dans toutes mes cellules pour l’un de mes plus beaux moments sportifs. On appelle ça être dans la zone. Je prends la droite sur Hereford puis la gauche très serrée sur Boylston. La ligne d’arrivée est probablement à 600 m devant. La foule est dense. Rendu là, je sais que je vais atteindre mon objectif de temps alors que tous mes autres objectifs sont atteints depuis des kilomètres. Je savoure. Je cours le bras droit en l’air sur quelques foulées et la foule me répond. Mantra: Euphorie/Célébration: Check! À 400 mètres du finish line. Que c’est délicieux de forcer dans l’euphorie. Je file pour terminer en beauté. Le temps? 3h7m53s. Ce qui veut dire que j’ai le split négatif recherché. Mon deuxième demi aura duré 1h33m24s soit 1 minutes 5 secondes plus rapide que le premier. C’est important de dire que 4 777 personnes ont couru plus vite que moi.
Pour être bon, il faut être bien. C’est le titre d’un article que j’ai écrit dans la Presse pendant les Jeux de Rio. Puis, ça s’est transformé en une mission personnelle et une mission corporative. Aider les équipes de gestion et les dirigeants d’entreprises à prioriser leur bien être en se donnant les moyens d’être fiers d’eux-mêmes au delà des résultats qu’ils obtiennent. Ce marathon aura finalement été pour moi une chance de plus de me pratiquer à être bien en savourant l’ensemble de l’expérience. Je reviens à la maison inspiré dans la poursuite de ma mission.
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