Ce texte s’inspire d’un cas vécu dans une entreprise de chez-nous. Je partage l’histoire parce qu’elle se vit dans plusieurs environnements de travail. Alors que plusieurs se sentent impuissants face aux exigences perçues de leur milieu de travail, il est possible de reprendre le contrôle de la situation en équipe grâce à la puissance de la vulnérabilité.
C’était une rencontre particulière. La dirigeante préoccupée par l’état des troupes m’avait donné le mandat de faciliter un atelier qui demande de l’authenticité et de la vulnérabilité. Le scénario est le suivant: chaque membre de l’équipe revisite les derniers mois pour se remettre en lien avec les moments charnières vécus pendant ce temps. L’objectif est de voir quelles traces ces expériences ont laissées sur chaque personne. À l’intersection entre la bienveillance et la vigilance, la dirigeante veut éviter de perdre des membres de l’équipe au combat. De quel combat s’agit-il? La vitesse du quotidien, la surcharge de travail, les pressions financières, le sentiment d’isolement en télétravail la plupart du temps, la perte de sens, la perte d’employés en invalidité, etc.
À tour de rôle, les participants s’expriment devant des collègues respectueux et attentifs. Il y a du beau, de la fierté mais aussi de la souffrance. C’est d’ailleurs de là qu’émergera la piste la plus porteuse pour du changement. Une personne nous raconte s’être sentie sans ressources la semaine précédente quand les membres de l’équipe dont elle est responsable se sont avoués au bout du rouleau. «Ce n’est pas la première fois que cela arrive sauf que cette fois-ci mes gens n’avaient pas de solutions à fournir et moi je ne savais pas quoi leur dire.» Puis, un autre membre de l’équipe enchaîne en faisant référence à une rencontre qu’ils ont eu ensemble il y a quelques semaines. «Quand je repense à cette rencontre, j’ai l’impression qu’on n’a pas été au fond des choses. Je suis déçu de nous. On ne s’est pas tout dit. L’impact sur moi a été de me dire que je devrais me centrer sur l'équipe que je gère moi-même avant d’aborder ces enjeux avec vous». Puis une autre personne raconte l’impact des enjeux de santé dans son noyau familial. «Ça meurt autour de moi; ça me fait réaliser qu’on n’est pas en train de sauver des vies...ici! J’ai intérêt à ne pas m’en faire outre mesure avec nos enjeux». Une autre personne enchaîne et raconte que son retour au boulot quelques jours après une opération importante lui donne maintenant le sentiment d’échouer des deux côtés. «Je ne suis pas à la hauteur pour mon équipe que je voulais aider en revenant rapidement au travail et je mets ma santé à risque en nuisant à ma propre guérison». L’émotion dans la voix d’abord et dans les yeux ensuite. Il éteint sa caméra. Le silence règne. Il la rallume en s’excusant. Des membres de l’équipe protestent. «Tu n’as pas à t’excuser!» On se sent immédiatement proche de ce super héros de la grande entreprise. C’est la puissance de la vulnérabilité à l’œuvre.
Je trouve que la chanson «Anthem» de Leonard Cohen met bien les choses en perspectives ici. “There is a crack in everything, that’s how the light gets in...” Un gestionnaire qui vient de craquer. La lumière qui entre... Qu’est-ce qu’on voit grâce à cette lumière? La vulnérabilité. Quelqu’un souffre pris entre deux engagements en apparence contradictoires: aider son équipe au combat ou aider son corps à guérir de son opération. Qu’est-ce qui vient après la vulnérabilité? La puissance de la connexion entre les êtres humains. On est tellement plus proche les uns des autres quand on se parle pour vrai. L’équipe commence à se regarder dans le miroir. «Qu’est-ce qu’on valorise, nous? Je disais à quel point tu m’impressionnais de revenir aussi vite au boulot après ton opération… Est-ce que c’est le bon exemple qu’on donne à nos employés?» «On aurait dû te forcer à prendre 3 semaines!» «Oui, mais je ne peux pas partir 3 semaines et laisser mon équipe face à tout ce boulot…»
Pause sur image. Vous avez une fenêtre Teams avec une dizaine de personnes. L’émoticon du cœur apparaît à quelques endroits sur cette fenêtre. La force de la culture organisationnelle en train d’agir sur les gens. On veut appartenir à l’organisation. Pour appartenir on incarne les manières de penser et d’agir qui y règnent. Le premier réflexe à ce niveau de gestion est celui du guerrier, conditionné à prioriser la mission de l’organisation à son propre bien-être. La lumière qui entre par la craque montre les limites de ce paradigme. C’est quand on rencontre nos limites que nos manières d’être ensemble peuvent être questionnées. Il faut reconnaître que quelque chose ne marche pas pour vouloir changer. Il y a malheureusement trop d’environnements de travail où on ne fait pas de place à ces conversations. Ce n’est pas que les gestionnaires soient inhumains ou dictateurs. Ils sont hésitants; ne voulant pas être perçus en opposition à la culture de leur organisation. Aussi, ils ont peur de ne pas savoir quoi faire si quelqu’un craque ou s’ils craquent eux-mêmes. La bonne nouvelle c’est que sur le coup, il n’y a pas grand chose à faire. Il faut surtout être là ensemble et s’écouter. C'est après qu'on peut passer à l'action.
Fin de la pause sur image. De retour à la rencontre, la dirigeante dit à son équipe à quel point elle est reconnaissante envers chacun de s’être exprimé. En équipe, un questionnement s’amorce: «Qu’est-ce qu’on peut faire, avant qu’il ne soit trop tard, quand l’un de nous a besoin de repos?» «Quelle influence a-t-on ensemble sur notre organisation pour gérer la quantité de travail et laisser de la pression s’échapper?»
L’heure n’était pas propice à faire le tour complet de ces questions profondes. Toutefois, grâce à la vulnérabilité démontrée, une lumière a commencé à jaillir pour aider l’équipe à moins se sentir victime des circonstances qui sont les siennes et à se sentir davantage maître de son expérience. À chaque fois que les choses changent pour le mieux, il y a préalablement eu l’expression d’une forme de souffrance… Accueillir la vulnérabilité pour faire place à la puissance de la connexion entre les humains! Voilà ce que cette équipe a réussi à faire cette journée-là.
Si vous souhaitez vous aussi faire rentrer la lumière, faites-moi signe.
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