Fiston avait préparé une pancarte à l’école pour m’encourager en anglais comme ça allait se faire à Boston pour le 128e marathon. Il voulait écrire: “Let’s go Daddy!”, mais il a réalisé trop tard avoir oublié de laisser de l’espace pour écrire le “S”. “Let go Daddy!”. On la trouvait bien bonne en descendant vers la Nouvelle-Angleterre. Explicitement, consciemment, je lui ai dit que j’avais plus besoin de Let go que de Let’s go. Le fil des événements allait nous donner raison.
Mon 3e Boston d’affilée. Mon 10e marathon en 15 ans. L’expérience s’annonçait très différente de celles des années précédentes que j’avais partagées avec 50 autres coureurs dans un bus où tout tournait autour de la course. Cette année, c’était un voyage avec mon amoureuse, Nadine, et mes enfants, Charles et Laurence. J’étais très heureux de vivre cette expérience avec eux, mes fans, les inconditionnels! Je repense à ces 4 jours. Il y a la course et tout le reste. Si on les met ensemble, on obtient l’expérience humaine globale. Celle qui m’interpelle maintenant. Il fût un temps où tout aurait tourné autour de la course, une expérience hautement définie par le résultat.
Pour être bon, il faut être bien. C’est le positionnement de l’accompagnement que CANU offre à ses clients depuis 2016, l’année où j’ai écrit une chronique du même nom dans la Presse pendant les Jeux de Rio. Dans le présent texte, je reviens sur Boston avec le recul d’une semaine pour étudier mon expérience. Je viens du sport de haut niveau. Les dirigeants d’entreprise s’identifient bien aux athlètes. La quête du meilleur résultat peut avoir des conséquences sur la santé mentale et physique. La manière de se mettre en lien avec les buts visés impacte la qualité de présence et la qualité des relations que nous avons. Les relations avec nos proches et les relations avec nos collègues. Imaginer la souffrance de celui qui se définit par les résultats qu’il obtient quand on sait que les résultats sont toujours en grande partie fonction de l’environnement externe qu’il ne contrôle pas! Comme je disais à Nadine, chaque marathon a été pour moi une étude intime de l’évolution de mon rapport à la course et à la vie, parce que la course peut être une métaphore de la vie.
Le matin du marathon, j’ai quelques missions en tête avec mes fans. Ils seront postés au 41e kilomètre au coin Charles’ Gate et Commonwealth Ave.. Je suis assez confiant de m’en rappeler pour les trouver le long du parcours. La pognez-vous? Ils ont dit me réserver une surprise. Il me faudra les retrouver pendant la course pour la découvrir.
Aussi, les enfants m’ont demandé pendant le week-end si c’était possible de passer la ligne d’arrivée en imitant un poulet qui essaie de s’envoler. On fait ça parfois quand on joue au hockey dans la rue en face de la maison et qu’on doit arrêter pour laisser passer les voitures. C’est sûr que ça me trotte dans la tête. On est aussi là pour s’amuser, non? En même temps, je ne veux pas manquer de respect à l’institution que représente la ligne d’arrivée à Boston. Il y a le mémorial des attentats de 2013 à quelques mètres. Bref, c’est sacré ce truc. J’ai donc évoqué la possibilité de le faire quand il y aura des photographes en amont de la ligne d’arrivée.
La préparation le matin même est toujours révélatrice. J’ai une oreille bouchée cette fois. Dans le bus qui met une heure à se rendre à la ligne de départ de 6h30 à 7h30, je suis en conversation intime avec un ami qui a besoin d’une oreille attentive. Je l’écoute même si ça résonne bizarrement et que je lui demande de répéter à quelques reprises. Nous sommes ensemble et connectés, comme cela a été le cas dans des dizaines de courses à l'entraînement au fil des ans. Je me sens utile.
Rendu sur place, en tant que vétéran de Boston (c’est mon 3e! hahaha! - je ris pcq 3 Boston c’est peu dans le monde de la course), je distribue les conseils à ceux qui en sont à leur premier. C’est le moment de se rendre à la ligne de départ. On part du bus à pied et ça prend une heure tellement il y a de monde à placer. Toute cette partie avec mon oreille bouchée, j’ai l’impression d’être dans un rêve avec 30 000 personnes qui murmurent autour. Le soleil déjà présent annonce une course chaude.
Je n’arrive pas à prendre un moment pour moi pour me centrer. C’est comme si je ne me réveillais pas vraiment de ce rêve. Je suis là de corps, mais pas de tête. Je fais l’expérience d’une forme de split. Dans une posture d’athlète centrée sur le marathon, il m’aurait fallu dans les jours précédant la course, investir pas mal de temps pour la préparation mentale. Mais le coeur n’y était pas. J’avais plus le coeur au voyage avec mes enfants et Nadine.
La préparation mentale c’est en gros tenter de répondre à 3 questions essentielles:
Qu’est-ce qui est possible aujourd’hui dans les conditions du jour (la forme et la météo)?
De quoi j’ai envie comme expérience?
Quels sont les plans A et B pour y arriver?
Avec le pas de recul, je réalise que ces 3 mêmes questions avaient été explorées avec les enfants et Nadine pour le voyage. Toutefois pour le marathon je ne l’avais pas fait.
La course commence et j’embarque à une vitesse qui est trop rapide. Je le réalise 10 km plus loin… Trop tard! Puis le mal de hanche qui embarque; le bobo principal depuis quelques années. C’est déjà difficile au demi, avant même les côtes à monter. Ça regarde mal. Je suis incapable de m’hydrater. Dès que je prends du Gatorade, j’ai envie de vomir. J’essaie un gel et les crampes surgissent. Le doute s’installe. Et il s’ancre.
Puis, je me rappelle que j’ai un défi à relever en mode poulet… Voir photo à gauche! Je suis content de me rappeler qu’on a une entente, les enfants et moi. Si je ne suis pas en train de livrer le résultat du marathon en heures, minutes et secondes je suis en train de tenir mes engagements d’une autre manière. Niaiser c’est important. Dédramatisons, torieux! Check!
Je commence à marcher au 26e dans les premières côtes. Le bitume est vraiment chaud sur le viaduc qui surplombe l’autoroute. Puis, sur Heartbreak Hill où j’ai connu de superbes sensations ces dernières années, je demande le téléphone d’une gentille partisane. J’appelle Nadine. “Je ne serai pas au 41e km à l’heure prévue. SVP attendez-moi. Ça va me prendre tout mon petit change pour me rendre.”
Je reprends la course. Ça commence à descendre. Des moments d’espoirs qui finalement ne durent pas. Je reprends la marche. Je reprends la course. Je suis triste. Je suis en deuil. Le deuil de quoi? En partie le deuil de la fin que j’espérais qui n’aura pas lieu. Je ne foncerai pas vers mes fans avec le sourire avant de filer vers la ligne d’arrivée. Et en partie, le deuil de savoir que je ne me requalifie pas pour Boston. Je ne suis plus dans la gang? Quelle gang? C’est paradoxal parce que ça fait des mois que je veux prendre une pause de marathons. La motivation n’y est plus…
Ça se passe vite et lentement en même temps. Puis je sens une baisse de pression donc j’arrête. Je me demande quoi faire. Je pense à l’exemple que je suis en train de donner aux enfants. Est-ce ok d’arrêter? Faut-il absolument tout donner? Quand est-ce que c’est assez?
Je reprends la course. Les tentatives sont de plus en plus courtes. Je m’arrête pour me tenir à nouveau. Et là j’arrive au 40e km. Une tente médicale est là. Me reste 1 petit km pour arriver devant mes fans. Une question assez importante me traverse l’esprit: Comment on gère ça si je me rends et m’effondre devant eux? Je décide de faire une pause à la tente médicale. D’abord je m'assois. Ça ne se replace pas. Je me couche. Mix envie de vomir et peur de m’évanouir. On s’occupe de moi. J’appelle Nadine. “Viendriez-vous me rejoindre au lieu que je vous rejoigne au 41e, svp?” Ils sont en route.
Susan, bénévole de 85 ans, s’occupe de moi. Elle me demande si je veux parler ou si je veux la paix. Tiens, parlons. Elle me demande ce que je fais dans la vie. Je travaille avec des équipes de direction d’entreprise pour les aider à définir comment ils veulent se sentir ensemble. Elle me montre son badge qui dit qu’elle est psychologue. Elle me dit que les équipes de direction, c’est un travail de psychologie. Je lui dis que la course aussi. Là, c’est le temps de voir si je peux tenir debout. Susan me demande : Do you want to hold on to me or do you prefer I hold you? Je me gâte. Tiens-moi, Susan! Puis je me rassois parce que pas prêt encore.
Mes fans arrivent! Leur plan costume était vraiment génial. C’est eux qui ont cherché Où est Daddy, finalement. Daddy le “super héros”qui passe un moment plutôt frêle sur un lit de camp militaire. On prend soin de moi. Mes fans savaient déjà que quelque chose ne tournait pas rond étant donné que mes initiales étaient figées depuis un bon moment au 40e km dans l’application du marathon. Daddy was letting go, mes amours!
Le plan initial Le plan ajusté
En regardant ces photos, je réalise la chance que j'ai. Les gens qui m'aiment sont là quand j'atteints les résultats et quand je ne les atteints pas. On peut aussi dire c’est un petit ajustement au final… Les retrouvailles ont été déplacées d’un km et retardées d’une heure.
Alors que c'est le flot du marathon en arrière plan et que des soignants refroidissent des coureurs en détresse dans des bains de glace improvisés, on passe un autre 30 minutes tous les quatre immobiles sur le banc de parc, avant de coordonner notre départ en Uber, avec les autorisations policières. Mon sens de l'humour revient. Ok, le pire est passé. En route vers l’hôtel.
Au tableau des résultats: DNF. Comme dans Did Not Finish.
Au tableau de l’expérience, avec quelques jours de recul et des échanges avec Nadine: Je réalise que le résultat décevant est complètement cohérent et juste avec mes choix et agissements de la dernière année. C’est pourquoi je l’accepte avec gratitude. Ma pause de marathons était probablement déjà commencée depuis quelques mois.
Je constate avec fierté que je suis resté d’agréable compagnie après le marathon. Je comprends aussi qu’en révélant ma fragilité, j’ouvre la porte à la force de ceux qui m’entourent. Enfin, je suis rempli de gratitude d’avoir partagé plein de beaux moments avec mon trio d’amour.
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